Philippe Chossegros, Pdt de la Coordination Nationale des Réseaux de Santé

Publié le : 02 octobre 20179 mins de lecture

Quel est l’état des lieux de l’infor-matisation des réseaux ?

C’est très variable selon les régions. Il y a eu plusieurs vagues, en fonction de la capacité ou de la volonté de financement des institutions. Au début, de nombreux projets ont été financés par les FAQSV puis on est passé à une demande de mutualisation, les financeurs ne souhaitant plus payer de nouveaux développements mais s’orienter vers une convergence à partir de l’existant. À un autre niveau, les ARH ont piloté, dans certaines régions, des projets à partir de l’hôpital, projets qui sont parfois devenus des projets régionaux, à un moment où les institutions envisageaient d’héberger des dossiers médicaux régionaux dont elles seraient les promoteurs. Ailleurs, les questions informatiques se sont limitées à la mise en œuvre de messageries sécurisées.

Qu’apporte l’informatique aux réseaux ?

Une des raisons d’être des réseaux de santé, c’est de redonner du sens à la pratique. Nous avons tenté de réintroduire la question de l’individu dans le processus de soin et de répondre à des problèmes que la société ne prend plus en charge. C’est-à-dire de tenir compte de la nécessaire inscription des projets de soins et de santé dans des projets de vie. Si la qualité des réponses techniques est indispensable, elle n’est plus suffisante. Les innovations que les réseaux ont souvent su apporter les ont persuadés de la qualité et du bien-fondé de leurs pratiques. Il y a nécessité à transformer ce qui, bien souvent, peut apparaître comme une conviction personnelle en une connaissance scientifique validée. Il s’agit d’un enjeu majeur pour l’avenir du système de santé. L’informatique apporte aux réseaux les bases sur lesquel s’appuyer pour réaliser leur évaluation, mais aussi organiser leur communication avec et entre leurs différents acteurs.

Où en est le projet de dossier réseau ?

La position de la CNR a toujours été que les outils informatiques allaient structurer les relations entre les acteurs de la santé et que la mise en commun de connaissances individuelles ou générales était un enjeu majeur pour l’avenir. Au cours d’une collaboration avec Fance Télécom, nous avons conduit une large étude transversale. Parmi l’ensemble des fonctionnalités qui ont été dégagées, c’est le dossier partagé (ou encore médico-social communiquant) qui était apparu au centre des préoccupations. Il s’agissait d’un outil généraliste. En effet, l’approche par pathologie ne peut représenter qu’un complément par rapport au DMP. L’avenir du système de santé va s’organiser autour d’une modification des missions avec une fongibilité entre les professions due à la pénurie de professionnels et, surtout, la nécessité d’une réflexion portant sur la santé des populations. J’ai déjà rappelé la place que pourra jouer le DMP dans la démonstration de la plus-value médico-sociale et, par contrecoup économique, qu’apportent les réseaux. Au moment de passer à la réalisation du dossier partagé, nous avons compris qu’il fallait s’adosser sur une architecture industrielle garantissant son évolution et sa pérennité. Les propositions de Privantis répondent à notre cahier des charges et s’appuient sur l’architecture Siemens qui est arrivée en tête des hébergeurs au niveau de l’appel d’offres du GIP-DMP. Nous sommes maintenant arrivés à un stade où nous avons aidé à construire un outil intéressant qui peut répondre à la diversité des demandes individuelles des réseaux de santé tout en s’intégrant complètement dans l’architecture DMP telle qu’elle existe aujourd’hui et telle qu’elle évoluera demain. C’est ce travail de réflexion qui nous a donné une légitimité pour participer au COR* du GIP-DMP au sein duquel nous essayons de faire partager nos convictions.

Où en est la réflexion sur la trans-versalité des informations ?

Le DMP est censé contenir des données objectives, d’examens, d’imageries, etc. auxquelles sont associées des données subjectives dont le contenu fait l’objet de discussions qui ne trouveront pas de solutions simples. Qui écrira un diagnostic psychiatrique, par exemple ? Le masquage des informations par les malades paraît un droit légitime s’il reste limité, mais comment l’appliquer tant qu’on en reste à des images comme les lettres de sortie ou les synthèses. Pour l’instant la partie sociale reste en suspens. Clairement, aujourd’hui, cette intégration n’est pas d’actualité malgré son importance, ce qui témoigne du chemin qui reste à faire au niveau des représentations.

Quelles vont être les conséquences, d’après vous, de la mise en œuvre du projet ?

Il y a d’abord la question de la « transparence », réelle ou imaginaire, imposée par le DMP s’il se généralise. Le caractère privé des échanges va être bouleversé. La trajectoire des personnes deviendra lisible pour un observateur extérieur. Les réactions actuelles montrent bien les réticences des acteurs de première ligne à cette transparence, réticence présente chez les malades comme chez les professionnels. Cette question renvoie au problème de confiance qui est devenu central dans notre société. Si j’accepte de me montrer tel que je suis, quelle garantie m’apporte-t-on que je n’en serai pas pénalisé ? Cette question amène directement à celle de la maîtrise des données. Je pense qu’à un certain moment, les données médicales ne seront plus sanctuarisées. La question sera donc de savoir qui aura le pouvoir sur ces informations. Cet enjeu est double. Les informations individuelles poseront des questions juridiques : comment justifier une déviance d’un professionnel ou d’un usager par rapport à une norme ? Quelles normes seront opposables par le système assurantiel et par le système judiciaire ? Les informations populationnelles seront une source de richesse qui ne pourra pas rester inutilisée. Les différents acteurs doivent comprendre que, dans l’économie de la connaissance qui est celle de la santé aujourd’hui, les données du DMP – en attendant celles des réseaux de santé – sont une source de « richesse » qu’ils produisent et qu’ils doivent valoriser car ils sont les seuls à pouvoir le faire. Les débats autour de ce sujet fondamental doivent être larges et transparents.

Le troisième effet sera celui de l’intériorisation du projet par les professionnels. Elle est tributaire des étapes précédentes. L’assimilation de l’informatique est un élément important mais elle ne se posera qu’une fois démontrée la justice du projet. Cette notion est complexe, mais fondamentale. Elle suppose un équilibre entre bien commun et intérêts personnels qui sera un des enjeux majeurs de l’accompagnement au changement avec l’adaptation de l’outil aux demandes de ses utilisateurs. Une flexibilité est nécessaire ainsi qu’une progressivité, mais en l’absence d’une large acceptation, le DMP risque de terminer comme le carnet de santé avec un coût qui lui sera bien supérieur.

Il reste enfin une question en suspens, celle de la « profitabilité » du DMP. Cette profitabilité doit être envisagée dans son sens le plus large. Qu’est-ce que le DMP va apporter aux différents acteurs et plus particulièrement à ceux qui vont l’utiliser au quotidien, les professionnels et les malades, mais aussi aux sociétés qui vont s’y engager ?

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