Compte rendus Journée Hermès

Publié le : 02 juillet 202011 mins de lecture

Tout le monde en parle et l’attend. Certains se demandent même s’il se fera. Et pourtant peut-être est-il déjà là ! C’est – bien sûr – le dossier médical personnel. En effet, sans attendre la mise en œuvre du plan national, un certain nombre d’initiatives ont eu lieu au plan régional. Faire le point sur toutes ces expériences, tirer les leçons de ces initiatives était l’objet de la journée organisée à Nancy le mercredi 7 mars par le réseau HERMES, jointe cette année au colloque EMOIS qui en est, lui, à sa dix-neuvième édition.

Après que la première édition (2004) a été consacrée à l’architecture du DMP et la seconde (2005) aux expériences en Lorraine, cette troisième journée rassemblait les régions qui, sous une forme ou sous une autre, ont mis en place une plate-forme d’échanges informatisés : Rhône-Alpes, Bourgogne, Basse-Normandie, Bretagne, Picardie, Franche-Comté et Lorraine. D’emblée, on constate que de nombreuses régions restent à l’écart du développement de tels outils, même si l’Aquitaine, non présente, a aussi une structure de télésanté et que le Languedoc-Roussillon s’est engagé dans une phase expérimentale. Pour apporter le point de vue complémentaire d’un consortium engagé dans le DMP, le directeur de projet de France Telecom, Tudy Bernier, venait donner l’état de sa réflexion.

La teneur globale de cette journée est assez contrastée sur la portée actuelle de l’informatique, même si les acteurs tirent indéniablement des leçons très positives de leurs expériences. Parmi les thèmes évoqués on retiendra en particulier :

Dissonnance Région-Etat (plates-formes vs DMP)

Paradoxalement, les initiatives locales ne sont pas toujours soutenues jusqu’à leur terme. En effet, il y a risque de collision entre les plates-formes régionales et le DMP. D’une part, les promoteurs régionaux (souvent pilotés par l’ARH) sont critiques vis-à-vis du concept même du DMP et tentent de développer d’autres voies de réflexion. Mais parallèlement, le risque existe toujours (cf. le projet picard) d’un ajournement du projet par les partenaires institutionnels en attendant une normalisation future avec le DMP.

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Mutualisation des expériences entre régions

Les promoteurs sont dans une logique inter-régionale de mutualisation, de mise en réseau de l’expérience accumulée, qui contraste avec l’idée d’un régionalisation « descendante ». On constate la mise en avant du pragmatisme. Beaucoup de composants logiciels ont été développés par certains pour être ensuite réutilisés par d’autres. Comme c’est le cas au sein de la région Rhône-Alpes, où plusieurs CHU ont mis en commun leurs outils respectifs, on voit les régions les plus avancées faire bénéficier de leur expérience les autres projets. Franche-Comté, par exemple, a servi de locomotive sur certains services, comme l’identification unique du patient.

Pbs d’infrastructures matérielles (les tuyaux & l’utilisation de RENATER)

Pour des raisons historiques, les établissements hospitaliers n’ont pas accès au réseau national RENATER, qui couvre les centres de recherche. Les projets sont donc tributaires de la mise en œuvre de solutions locales pour les réseaux à haut débit. Toutes les régions n’en sont pas encore pourvues à l’heure actuelle. Certaines régions sont en cours de déploiement, c’est le cas du réseau MEGALIS en Bretagne, par exemple. D’autres, comme la région Basse-Normandie ont déjà un service d’interconnexion de réseaux (VIKMAN) et se demandent comment celui-ci va s’intégrer dans une infrastructure plus générale. Certaines régions encore n’ont pas pu obtenir l’équipement nécessaire. Or la capacité de connecter entre eux des sites distants est bien la clef du développement d’une plate-forme régionale. D’autres solutions techniques seraient peut-être possibles (VPN ?) mais apparemment, elles n’ont pas été envisagées. Par ailleurs, la division régionale ne recoupe pas toujours les collaborations effectives. Les marches de la Picardie sont tournées vers Lille et Reims, la Bourgogne tiraillée entre Lyon et Paris et il est quelquefois plus facile pour un normand d’aller au Mans ou en Bretagne.

La question des infrastructures entraîne évidemment celle de leur financement. Celles mises en œuvre, comme VIKMAN-Santé, sont pour le moment gratuites car leur développement a été une expérimentation sur trois ans assumée par la Région. Les coûts d’accès étant financés pour les réseaux par une subvention de la DRDR. Néanmoins, cette situation risque de n’être pas pérennisée.

La question du pilotage des projets

Parmi leurs difficultés, les pilotes de ces projets régionaux reconnaissent que la maîtrise d’ouvrage n’est pas leur métier et qu’ils cherchent à pouvoir bénéficier d’une assistance. L’AMOA, qui peut intervenir à toutes les étapes du projet, est cruciale à propos de la conduite stratégique sur le projet : faisabilité, choix techniques, planification, etc. Certains établissements ont des équipes techniques mais si les institutions peuvent être maîtres d’œuvre, la conduite stratégique des projets semble n’être pas clairement définie dans bon nombre de cas.

Solutions propriétaires ou solutions libres

Les logiciels métiers en santé souffrent de leur manque d’interopérabilité, de problèmes liés à leur pérennité, du coût de maintenance, entre autres. Il est donc tout à fait significatif de voir les promoteurs (publics, bien souvent) faire le choix de l’Open Source. Comptables de l’argent public, ils mettent en avant l’argument qu’il est inutile de « réinventer l’eau tiède ». Comme le dit Denis Garcia, le choix porte d’une part sur la pérennité et sur l’exploitation d’un existant fiable et adaptable. De surcroît, il permet de mettre des fonds sur une véritable R&D, avec des acteurs de proximité qui sont à même de comprendre les demandes spécifiques des donnuers d’ordre. Mais ce n’est pas un choix unanime. Le développement en Rhône-Alpes se fait sur la base de la technologie .NET de Microsoft.

Les solutions sont de plus en plus pensées sous formes de « briques » et non plus d’une application globale. Les composants, compte tenu de la mutualisation, ont souvent connu des développements séparés, pas toujours par les mêmes équipes, et l’on sent que l’on est dans une phase d’agrégation et d’harmonisation entre toutes les initiatives qui ont vu le jour à droite et à gauche.

La question de la dynamique de l’utilisation

Là encore, beaucoup de travail reste encore à faire. Est-ce une question de temps ? Le Dr Kohler s’interroge : « Le médecin ne pourrait-il s’abonner aux données patient, comme un fil RSS ? » en tout cas, la coopération inter-établissement n’est pas encore vriament entrée dans les mœurs. Ici, on note un « manque d’adhésion » des établissements, sans compter celui des industriels. Ailleurs, on insiste sur le temps (beaucoup) passé à explorer le terrain pour instaurer la dynamique. Ailleurs encore, on note – pour regretter son absence – la necessité d’un accompagnement au changement pour l’utilisation de ces nouveaux outils.

Le contenu

Quel contenu donc pour ces plates-formes ? On retiendra globalement que toutes visent une meilleure collaboration entre professionnels : permettre des échanges sécurisés, harmoniser les formats de données, faciliter la communication. Les projets sont donc souvent des projets d’interconnexion. Les briques les plus courantes de cette architecture sont indéniablement : le service d’identité unique du patient, dont le modèle est IdeoPass développé par SQLi pour la région Franche-Comté sous licence LGPL. Ce type de service s’accompagne de la mise en place d’une cellule « d’identito-vigilance » dont la fonction est de veiller à la consistance des identités des patients contenus dans la base : normalisation d’écriture, gestion des doublons, etc., l’annuaire des professionnels de santé, le service de téléconférences, la base documentaire. On trouve aussi des assistants à l’organisation de réunions de concertation (Lorraine, Normandie), voire des outils d’aide à la décision (Lorraine, Rhône-Alpes).

Il semble que les services les plus utilisés soient souvnet aussi les plus simples : les webmails sécurisés, les bases documentaires, le partage d’images ou encore la visioconférence.

Le maintien de la cohérence des annuaires n’est pas toujours une tâche facile. Les nomenclatures de spécialités varient en fonction des sources (ADELI, CNAMTS, Ordre des médecins, etc.)

Parallèlement à ces interventions, France Telecom est venu rappeler que le DMP se décomposait en fait en deux sous-projets distincts : l’un ayant rapport aux questions d’infrastructure, l’autre aux pratiques d’utilisation de l’information. Le discours de l’opérateur a tenté de « dramatiser » les problèmes de sécurité, comparés au niveau de confidentialité « secret défense ». Les industriels ont évidemment intérêt à insister sur la haute complexité de ces questions, faisant référence à « l’habilitation » des employés (encore une référence au militaire) ainsi qu’à d’autres problèmes auquels FT entend apporter son poids « d’opérateur historique ». La question de la contractualisation « avec chaque français », celle de la pérennité du réseau sont des arguments mis en avant.

Toutefois, la discussion montre que les programmes régionaux sont bien en avance sur la réflexion des consortiums et même de leur capacité de déploiement rapide. Alors que FT table sur quelques milliers de dossiers inclus dans la phase expérimentale, plusieurs plate-formes comptabilisent jusqu’à 50.000 dossiers. La question du modèle économique du DMP est par ailleurs très loin d’être réglée. Les plate-formes régionales sont soutenues par des fonds publics, notamment par la DRDR (ce qui en soi pose également question). Mais le financement d’infrastructures privées est encore dans les limbes. On esquisse quelques pistes : l’Assurance Maladie, l’intervention de partenaires privés comme les mutuelles, un partenariat public-privé à l’instar de la Grande-Bretagne…

En conclusion de cette journée, on retiendra surtout la vivacité des promoteurs de ces diférentes plates-formes. Si, comme le disait le Dr Jouchoux, on fait abstraction de la majorité d’établissements sans système d’information, de l’état d’avancement de la « tuyauterie », du désintérêt de l’industrie du logiciel, d’un pilotage encore mal assuré, et des aléas liés aux échéances politiques… l’informatique collaborative en santé reste un territoire où les besoins restent immenses.

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